Nous revoici après plus d’un mois d’absence, alors que nous vous avions laissé au départ d’Aitutaki aux iles Cooks. En fait, la navigation entre les cooks et les Tonga s'est plutôt mal passée et il nous a fallu un peu de temps pour reprendre pied et simplement vouloir en parler.

La météo parfaite que nous devions avoir durant une semaine au départ d’Aitutaki n'a en fait jamais existé...on devait avoir autour de 15 nœuds d'est sud est, donc idéal tant en secteur qu’en intensité pour effectuer les 810 MN en plus ou moins 5 jours. La fenêtre de rêve, avec une température d’eau sous 27° plutôt rassurante en saison cyclonique, surtout avec cet angle de vent peu propice à la formation cyclonique.

Mais dès la première nuit nous avons eu 25 nœuds, puis 30 le lendemain. La mer est vite devenue très difficile avec une houle croisée arrière. Le bateau continuait à partir au surf a 15 nœuds malgré 3 ris dans la gv et le solent à un ris...au bout de 36h00 de navigation, les femelots, ferrures inox qui tenaient les safrans sur les tableaux arrière avaient tous été arrachés…enfer et damnation !

Bref, nous nous sommes rapidement retrouvés privés de gouvernail, à la dérive, travers à la mauvaise houle, sans aucun contrôle du bateau et de notre trajectoire. Mais vu la vitesse moyenne, nous étions déjà bien loin d’Aitutaki, environ 300MN face au vent et à la mer. Avec un peu d'imagination, nous avons fait des réparations de fortune avec les éléments encore sains pour avoir un safran fonctionnel. Mais cela n’a jamais tenu plus de 12h vu les efforts dans cette mauvaise mer et l’impossibilité de freiner le bateau. Nous nous sommes donc retrouvés de nouveau à la dérive, et le vent est monté à 40 nœuds durant une dizaine d'heure, les vagues de 4m50 se mettant à déferler et balayer le bateau.

Heureusement, coque, pont, gréement et dérives n'ont pas bougé, tout est solide et parfaitement éprouvé à ce niveau. Aucun problème de stabilité latérale non plus.

Par contre ce fut un véritable enfer à vivre avec des mouvements de roulis très violents, associés aux bruits des vagues se fracassant sur notre coque. Difficile de tenir debout, de se déplacer, de cuisiner ou encore de faire sa toilette dans ces conditions. Et le stress amplifié par le fait de ne pas pouvoir faire confiance aux fichiers météo qui nous donnaient du 15/20 nœuds quand nous étions à 30/40 ! Quelles seraient la force du vent et les conditions de mer les heures suivantes ?

Que faire, attendre que cela se calme ou lancer un mayday pour évacuer le bateau et mettre Céline et les enfants à l’abri ?

....nous avons finalement fait le dos rond en pariant sur une amélioration, dérives relevées à sec de toile. Le vent a enfin faibli à 30/35N qui ce sont maintenus durant 3 jours durant lesquels il était impensable de remettre en route sans casser une nouvelle réparation.

En pleine saison cyclonique et au milieu du pacifique, on a connu des situations plus confortable et des Noëls plus festifs !

Il a fallu repousser l'arrivée du père Noël au 26....pas facile d'attendre pour les enfants. Mais les mouvements du bateau étaient si violents qu'ils ont bien compris que cela ne devait pas être un jour normal pour le père Noël non plus, et qu'il avait peut-être lui aussi des difficultés à nous trouver au milieu de l'océan déchaîné !

....heureusement, il a fini par nous trouver et il a pu garnir de cadeaux la cabine des enfants, réfugiés avec nous durant ce mauvais passage. L'atmosphère s'est bien détendue le matin du 26 avec la joie d’Hugo et Salomé, mais le père Noël ne nous avait pas ramené pour autant les pièces nécessaires à la remise en service d'un seul safran, flûte !

Nous vous épargnons les détails, mais il y a eu plusieurs réparations qui prenaient de longues heures et des efforts conséquent, la construction d’un gouvernail de fortune (36h00 avec les temps de séchage, avec atelier stratification dans le cockpit en mouvement et soumis aux embruns malgré le taud et les bâches de protection périphériques) qui a tenu 15min tant la mer était mauvaise et le bateau rapide avec le minimum de toile sur l’avant et sans GV. Puis la fabrication de femelots en verre époxy (24h00) déchirés au bout de 3h00---désespoir car j’avais perdu le jeu de clé Halen et le marteau dans le remontage (les tableaux arrière étant immergés vague après vague)---il a alors fallu bricoler des outils indispensables au démontage des femelots afin de renforcer la partie recevant l’axe inox avec des fibres de vectran issues d’un bout, enroulées et stratifiées à l’epoxy autour d’un axe inox (24h00), ultime réparation qui nous a permis de parcourir la dernière centaine de milles qui nous séparait de Vava’u.

Dans ce résumé, une foule de problèmes à résoudre, un équilibre à trouver sous voile pour avancer à peu près sur la route mais sans safran, une météo très changeante et un gros stress à gérer jusqu’au bout, et pour l’anecdote, voici un extrait détaillé à chaud des dernières heures de navigation et de l’arrivée à Vava’u :

« Les dernières 24h ont été très mouvementées : après notre message du matin ou nous avancions à 8N sans forcer car la mer était très belle, nous sommes passés en régime pétolesque jusqu’au milieu de la nuit. Nous avions encore assez d’essence, donc nous avons appuyé au moteur à 3/4N, à régime réduit. Ce n’était pas plus mal, car les femelots en vectran se sont délaminés à force de matage bord sur bord, sans casser, mais avec un jeu autour de l’axe de facilement 2cm…donc j’ai renforcé le système avec des bouts dyneema repris sur la tête de safran pour éviter de trop solliciter les stratifications de vectran. Mais cela recommençait à nous stresser et nous n’avions plus que 5° d’angle de barre bord sur bord…donc si t’es pas bien équilibré, t’es mort !

En fin d’après-midi, j’ai changé le leurre au bout de la ligne, et opté pour un poulpe siffleur un peu défraichit, mais qui marchait bien du temps de sa splendeur. Avant la tombée de la nuit, nous apercevons un groupe d’oiseau excité, j’accélère à 6N et fonce dans le tas…et zzzziiiiiiiiiiiiiuuuuuuu, une prise. En relevant, ça tirait pas bien fort et je ne comprenais pas ce que cela pouvait être. C’était en fait une bonite d’environ 5kg : ça ne se défend pas du tout. Ça tombe bien car j’en suis vraiment pas fan et je n’aurai pas aimé avoir à me battre pour remonter ça ! Mais cuisinée à la thaÏ avec gingembre, sauce soja, oignon, ail et tomates fraiches, ça l’a trés bien fait accompagné de fetuccinis !

Début de nuit, la mer a commencé à s’exciter un peu, branlés dans tous les sens sans vent établi, et avec de gros grains pluvieux. L’approche de Vava’u avec sa myriade d’îlot dans le sud doit générer des perturbations dans son est…

En fin de nuit, sous solent seul la gv ayant été affalée en début de nuit, nous avons pris un grain à 27 nœuds dans une mer démontée. Miracle, rien n’a cassé, et de 9h00 à midi, nous avons terminé au portant avec environ 15N de NE qui nous a porté jusqu’à l’estuaire de Neiafu, en dégustant au petit déjeuner les bonnes crêpes sauces chocolat maison que Céline nous préparait. Magique fin de navigation en passant par le nord, entre les ilots creusés de grottes semi sous-marine. Très beau paysages !

Le mal de terre a été terrible, après 10 jours et 18h de vie dans un shaker : vertiges mixés avec de la fatigue, le stress qui tombe et les nerfs qui se relâchent, jambes flageolantes et surréalisme de se trouver à terre, en sécurité, alors que nous venons de vivre la pire navigation de notre existence. Et à 40 ans passés, il y’en a eu « quelques-unes » et de bien mauvaise en ce qui me concerne …enfin, nous sommes arrivés à bon port et heureux d’être là.»

Dans toute épreuve, il y a heureusement du positif : nous aurons beaucoup appris beaucoup sur nous même dans l’adversité et nous en ressortons plus forts. Nous sommes parvenus à tenir moralement pour résoudre chaque problème l’un après l’autre, Céline veillant au bon moral de Nicolas pour la continuité des solutions techniques et de la bonne route. Nous n’avons ainsi jamais été submergés par une superposition d’ennuis qui une fois accumulés auraient été difficilement surmontables. C’est aussi surement grâce à cela que nous ne nous sommes jamais véritablement senti en danger : chaque problème avait une solution, aussi temporaire puisse-t-elle être !

Côté approvisionnement, nous avions un dessalinisateur et plusieurs sources de recharge électrique qui nous ont permis, avec un bon avitaillement de nourriture de tenir 11 jours en mer au lieu des 5 prévus.

Côté technique : j’avais embarqué suffisamment de résine époxy et de fibre de verre pour pouvoir réparer et fabriquer les pièces qui nous ont lâchées. C’est vraiment un minimum dès lors qu’on navigue en hauturier. La meuleuse est aussi un outil indispensable. Nous en avons été privés sur la fin, le groupe électrogène ayant rendu l’âme à force d’embruns salés. Heureusement, j’avais une perceuse sans fil sur laquelle j’ai réussi à bricoler le plateau de la meuleuse et sans laquelle j’aurai été bien en peine d’usiner et finir les travaux de stratification. La réserve de boulonnerie inox de toute taille et de tout diamètre a été aussi indispensable.
Enfin, il faut le citer car il nous a été précieux : le moteur hors-bord a été relativement sollicité, pour aider à faire abattre le bateau privé de safran, et ainsi descendre plus dans le vent pour tenir un cap proche de la route sans safran. Utilisé à faible régime il n’a que peu consommé, et il a également permis la recharge des batteries alors que nous n’avions plus de soleil depuis 7 jours –les panneaux solaires étant notre source d’énergie première – alors que le groupe électrogène était HS. Nous n’avions que 100 l d’essence, et à l’arrivée il nous restait encore 20 l de réserve.

Côté communication, la VHF nous a servi une fois, pour contacter et faire dévier un cargo qui était en pleine route de collision. C’était « lunchtime » visiblement à bord, et l’homme de barre devait regarder un dvd plutôt que son radar ou simplement par le hublot !...le navire ne semblait pas décidé à dévier sa route, alors que nous étions à 350 MN de la terre la plus proche…on est heureux qu’ils aient entendu et répondu à notre appelle, car nous n’étions pas manœuvrant et en très mauvaise posture.

Nous avons également à bord un téléphone satellite. Il ne fonctionne pas toujours très bien en mode data (données pour échange email et pouvoir essentiellement récupérer les fichiers météo) mais il a été bien utile pour pouvoir communiquer notre position régulièrement, avoir la météo par téléphone et avoir un soutien psychologique depuis la terre. Il était surtout sécurisant de savoir que nous pouvions lancer un avis de secours rapide si les conditions s’étaient dégradées sans contrôle du bateau. A ce propos, nous adressons un grand merci à Papa et à Marc pour leur relais et leur soutien.

Vava’u et les Tonga en général étant mal lotis pour une escale technique « avancée », nous avons décidé de laisser le bateau au mouillage sur un solide corps mort dans l’anse ultra abritée de Neiafu. Le bateau est ici en sécurité pour la période la plus risquée de la saison cyclonique, et nous sommes partis pour la Nouvelle Zélande. D’abord en ferry jusqu’à Nuku’alofa - 24h00 dans un bateau en bon état, mais au confort rustique : cabine passager avec siège plastiques fixes, TV avec toute la série des Bruce Lee en boucle avec son saturé à fond et cantine préparant des nouilles chinoise, ou des chinoise nouille au choix ! – puis en avion après 3 jours d’escale forcés sur l’ile mère des Tonga, inintéressante au possible comparée à Vava’u qui regorge de mouillages splendides et de paysages enchanteurs.

Le voyage continue donc chez les Kiwis où nous faisons faire un nouveau système de boitier de safran en composite, surdimensionné et plus homogène pour être fiable. Nous pourrons ainsi continuer la route sereinement. Le groupe a pu être réparé, et l’ami Jean jean (Nautilus Sails) nous fabrique un tourmentin, voile de tempête qui nous a manqué pour avancer sans vitesse excessive.

Bises à tous et la suite bientôt !

La traversée Aitutaki (Cook) / Vava'u (Tonga)

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